Résumé et Extraits d'un article de Willy Braun "Délégué Général France Digitale. Co-fondateur Brocooli. Internet Marketing 2013 " dont le réflexions ont été inspirées par le n° de novembre "Sciences Humaines"
“Pourquoi travaille-t-on ?
“Pourquoi travaille-t-on ?”, “qu’est-ce qu’un travail bon ?”, ces deux questions se nourrissent d’une base commune. Et, surtout, nous donnent de précieuses indications pour nos vies…
Avant de répondre, penchons-nous un tout petit peu sur notre rapport au travail. L’article central du numéro de Sciences Humaines propose 3 réponses à la question “pourquoi travaille-t-on ?” :
– (1) gagner sa vie,
– (2) exister socialement et rencontrer des gens,
– (3) accomplir des actions qui nous intéressent.
L’auteur indique que ces 3 moteurs, qui nous poussent à travailler peuvent aussi être les causes de notre envie d’arrêter”
Quel moteur prédomine pour vous ?
(1) L’argent, le prestige, le statut ?
(1) Le point de vue des philosophes : (gagner sa vie, est-ce la perdre ?)
– Hegel et Marx pensent que l’homme ne peut s’extraire du travail, l’homme s’accomplit par ce biais
– Arendt et Meda pensent que l’épanouissement de l’individu ne se trouve qu’en dehors du travail (= exigence oppressive), avec la vie contemplative, l’oeuvre ou la politique.
D’un côté, le travail est indépassable, et l’homme doit l’apprivoiser et se l’approprier pleinement afin de se réaliser lui même. De l’autre, le travail n’est que la plus basse forme de vie, celle qui vise à répondre aux contingences biologiques.
(2)
(2) Le besoin d’appartenance et de reconnaissance connaît également un contrepoint : la soumission hiérarchique, la violence ordinaire d’une organisation, le harcèlement parfois, l’enfermement dans un rôle qui nous empêche d’être pleinement nous-mêmes…
(3)
(3) Miser sur l’intérêt de la tâche, c’est aussi s’exposer à la déception d’un écart entre la représentation et la réalité d’un travail au quotidien. C’est surtout oublier la décroissance de l’utilité marginale :
Exemple : chaque carré de chocolat procure un peu moins de plaisir, l’homme s’habitue à tout et finit souvent par se lasser.
Exemple : organiser son 1er évènement se révèle presque jouissif. On trouvera l’organisation du 20ème (le même) agréable, mais un peu moins.
Enfin, c’est négliger la contraintes des objectifs et la pression des délais.
Alors pourquoi travaille-t-on ? Certainement parce que les opportunités dépassent les risques. Aussi, il est “toujours possible de partir si ça tourne mal” (sauf que souvent, on l’oublie).
Mais le travail est aussi un mélange de coutume et de hasard. Qui se pose la question “dois-je travailler ?”. Il y aurait pourtant de nombreuses possibilités pour vivre sans travailler. Pas besoin d’être un riche héritier pour survivre : nous pourrions vivre frugalement, survivre par des petits services et contre-services, profiter de l’hospitalité de la terre et des hommes.
Combien prennent réellement le temps de se demander ce qu’ils veulent vraiment faire ? Le travail retenu se joue souvent à une offre intéressante au moment où l’on se met à rechercher un travail. Parfois, il est prédéterminé par un choix d’étude qui en est rarement un : on regarde les choix autour de nous, on écoute les conseils ici et là et on choisit un peu par hasard.
Ainsi, pour ne pas obéir aveuglément à la tradition et aux lois froides du hasard, il nous faut chercher ce qui compte le plus à nos yeux.
Alors faut-il rechercher l’équilibre ou des moments d’équilibre ?
Le risque de perdre sa vie à vouloir la gagner est donc réel. Et nos décisions font appels à ces débats : le lycéen partagé entre l’envie de sortir et de faire ses devoirs, l’étudiant qui hésite à continuer ses études ou à commencer “la vie active”, le jeune qui hésite, lors de la naissance de ses enfants, à mettre de côté quelques temps sa carrière pour s’occuper des nouveaux arrivants, le cadre qui a envie de trouver un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle mais qui ne veut pas hypothéquer sa carrière si chèrement construite, le senior qui hésite entre profiter pleinement de sa retraite pour réaliser ses rêves ou continuer encore quelques années et s’assurer une pension plus confortable, le retraité qui hésite à reprendre du service…
Dégageons dès maintenant les motivations extrinsèques du travail (salaire, statut, reconnaissance, etc.). Elles pèsent sur la décision d’un travail et ont une implication sur notre style de vie, néanmoins je crois qu’elles ont très peu à faire avec l’épanouissement personnel du travail, et donc, du “travail bon”.
Les motivations extrinsèques me rappellent un peu ces joutes de quinquagénaires pour déterminer le mâle alpha, celui qui a le mieux réussi. Il est plus facile de quantifier le prix d’une voiture que du bien-être, alors la lutte se focalise sur le compte en banque et sur le garage. Le vainqueur tente de savourer le mensonge qu’il tente lui même de croire. Et le gagnant est… le consultant solitaire et fatigué.
L’argent, le prestige, le statut ne sont pas à ignorer tout à fait. Mais il est bon de leur accorder la place qu’ils méritnet : celle de l’équilibre.
Cette interrogation permet de s’extraire des lois de la coutume et du hasard et de reprendre sa vie en main. Grâce à elle, j’adore mon métier.
Les paramètres du “travail bon”
Concentrons nous alors sur les qualités intrinsèques d’un métier. Quelles sont les composantes d’un travail bon ? Pour Willy Braun, certains éléments s’imposent d’eux-mêmes.
(1) J’ai toujours attribué à l’apprentissage une importance cardinale. Kant disait dans Fondation de la métaphysique des moeurs “Agis seulement d’après la maxime grâce à laquelle tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle”. Heinz Von Foerster, un des fondateurs de la cybernétique, le parodie dans les années 70s en déclarant que dans nos vies de moins en moins linéaires, il faut “agir toujours de manière à augmenter le nombre des choix possibles.”
– Changer pour compenser notre incitation à conserver nos acquis. Sur ce point, j’irai d’ailleurs plus loin : je crois qu’il faut chérir les ruptures de linéarités. Nous sommes tellement incités à conserver notre position, par notre éducation, par nos modèles et par la pression sociale, que tenter de rompre les linéarité n’aura qu’un effet de neutralisation : baisser les frictions et pouvoir aborder un choix de manière sereine. Ainsi vouloir changer, c’est juste ne pas se condamner à s’enraciner.
A titre personnel, et dans cette tradition, moins kantienne que foersterienne, j’ambitionne d’apprendre toujours plus. Qu’est ce que la sagesse ? C’est ça. Ce n’est pas la taille de sa maison, pas la qualité de sa voiture, ni même l’étincelant de sa montre. C’est seulement ça : le plaisir de l’apprentissage. “For the sake of it.”
A travail équivalent, je prendrais donc celui où j’apprends le plus. Et lorsque je cesse d’apprendre, je sais qu’il est temps pour moi de partir, à la façon d’André Gide
“Nathanael, ne demeure pas auprès de ce qui te ressemble ; ne demeure jamais. Dès qu’un environ a pris ta ressemblance, ou que tu t’es fait semblable à l’environ, il n’est plus pour toi profitable. Il te faut le quitter. Rien n’est plus dangereux pour toi que ta famille, que ta chambre, que ton passé. Ne prends de chaque chose que l’éducation qu’elle t’apporte ; et que la volupté qui en ruisselle la tarisse.” (Les nourritures terrestres, p44)
(2) J’ai une foi inébranlable dans la rencontre. Rencontrer est une façon d’ouvrir son champ des possibles et d’apprendre, c’ est aussi une façon de donner un sens supplémentaires à l’apprentissage. Si l’apprentissage devait avoir une fin (et donc ne plus être simplement “for the sake of it”), il ne pourrait servir que par l’existence d’un autre. “Le bonheur doit être partagé.” Tel est l’ultime constat de Christopher McCandless, autoproclamé Alexander Supertramp, le jeune homme qui est à l’origine du livre Into the Wild de Jon Krakauer et du film éponyme de Sean Penn. Ce constat met le doigt sur quelque chose ancré dans l’ADN de l’homme, animal social par essence.
Il me fallait un métier où j’apprends, certes. Mais il me fallait un métier rythmé par les rencontres.
(3) Je ne pourrais pas vraiment trouver l’énergie suffisante sur la durée sans une action qui profite à l’intérêt collectif. L’utilité sociale est toujours assez difficile à mesurer. Je ne cherche pas à être le plus utile, mais je cherche à ne pas cantonner mon action à mon seul cercle et surtout à ne pas créer plus de troubles qu’il n’y en aurait sans moi. Trouver comment alléger un peu les peines ou baisser les barrières, avec si possible un peu d’effet de levier, voici un 3ème indicateur important pour moi.
(4) Les plus fidèles sauront que j’attache beaucoup d’importance au temps. Maîtriser ma vie et en profiter pleinement suppose de pouvoir gérer librement mes journées. Jamais je ne travaillerai autant que si on me laisse libre de mes horaires.
Il existe naturellement d’autres composantes, nombreuses, qui interviennent dans le métier bon.
Prenons la figure de l’artisan en exemple. Ce recours pourrait paraître anachronique : l’artisan est en voie de disparition dans nos économies occidentales. Anachronique, voire hors sujet : quel rapport entre l’artisan et notre économie de plus en plus numérique et industrialisée (un processus par exemple) ? L’outil, les traits culturels, et les compétences n’ont pas grand chose à voir à première vue. Pourtant, je pense que beaucoup de métiers numériques peuvent être considérés comme artisanaux. Je prendrai la définition de Richard Senett (Ce que sait la main. La culture de l’artisanat., 2010), “l’artisanat désigne un élan humain élémentaire et durable, le désir de bien faire son travail en soi”. Qu’est-ce que l’artisan ? Celui qui met un point d’honneur à accomplir un travail bien fait. Pas de surprise, la rentabilité vise l’optimum : il faut maximiser la qualité relativement au temps et au surcroît de qualité perçu et désiré (estimé par la propension à payer, ce qui revient à considérer une sorte d’élasticité prix/qualité). La rentabilité peut et s’oppose donc souvent au désir de l’artisan : produire une pièce remarquable, quasi parfaite. Les métiers du numériques sont directement concernés par ces problématiques. Je connais beaucoup de designers-artisans et certains regrettent de devoir “produire à la chaîne” ou bâcler des productions. “Question de survie” répondent les dirigeants concernés.
Voici donc un nouveau trait : trouver un métier artisanal, où l’amour du bien-faire est encore d’actualité.
Cela m’amène assez naturellement à la conclusion suivante : il est vraiment important de s’interroger sur ce qui fait un métier bon, sur ce qui nous permet de nous émanciper dans nos activités.
Il est bon de s’arrêter et de se demander pourquoi nous travaillons et qu’est ce qui constitue un travail bon. Notre réflexe est de nous demander “Comment bien faire ?” au lieu de nous demander “Que faire pour faire bien ?”.
Ce que je vous demande, ce n’est que ça. Prenez un moment et demandez vous “Que faire pour faire bien ?”
Alors faut-il rechercher l’équilibre ou des moments d’équilibre ?
Le risque de perdre sa vie à vouloir la gagner est donc réel. Et nos décisions font appels à ces débats : le lycéen partagé entre l’envie de sortir et de faire ses devoirs, l’étudiant qui hésite à continuer ses études ou à commencer “la vie active”, le jeune qui hésite, lors de la naissance de ses enfants, à mettre de côté quelques temps sa carrière pour s’occuper des nouveaux arrivants, le cadre qui a envie de trouver un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle mais qui ne veut pas hypothéquer sa carrière si chèrement construite, le senior qui hésite entre profiter pleinement de sa retraite pour réaliser ses rêves ou continuer encore quelques années et s’assurer une pension plus confortable, le retraité qui hésite à reprendre du service…
Dégageons dès maintenant les motivations extrinsèques du travail (salaire, statut, reconnaissance, etc.). Elles pèsent sur la décision d’un travail et ont une implication sur notre style de vie, néanmoins je crois qu’elles ont très peu à faire avec l’épanouissement personnel du travail, et donc, du “travail bon”.
Les motivations extrinsèques me rappellent un peu ces joutes de quinquagénaires pour déterminer le mâle alpha, celui qui a le mieux réussi. Il est plus facile de quantifier le prix d’une voiture que du bien-être, alors la lutte se focalise sur le compte en banque et sur le garage. Le vainqueur tente de savourer le mensonge qu’il tente lui même de croire. Et le gagnant est… le consultant solitaire et fatigué.
L’argent, le prestige, le statut ne sont pas à ignorer tout à fait. Mais il est bon de leur accorder la place qu’ils méritnet : celle de l’équilibre.
Cette interrogation permet de s’extraire des lois de la coutume et du hasard et de reprendre sa vie en main. Grâce à elle, j’adore mon métier.”
L’article complet : http://www.brocooli.com/comment-choisir-son-metier/